SUMMARY
L’iconographies du corps de la femme – et qui plus est celle de son sexe – sont hautement révélatrices de la place qui lui est faite dans chaque forme de société. Le titre même de cet ouvrage est là pour nous le rappeler : nous continuons d’être influencés par les codes de représentation du sexe féminin, tels qu’ils se sont fixés avec l’avènement des religions monothéistes, lorsque, comme l’écrit Arlette Fontan, à la multiplicité des dieux et des déesses a succédé “l’unique transcendance d’une Paternité divine”. Prétendre en détourner les yeux tout en exigeant qu’on le cache n’est guère surprenant de la part d’un pouvoir masculin soucieux d’affirmer son hégémonie. Et naturellement une telle injonction trahit aussi la peur de la femme, dont le sexe résume à lui seul la nature qu’il s’agit pour l’homme de combattre, de maîtriser et de soumettre.
En Occident, l’emprise de la religion judéo-chrétienne a peu à peu ravalé les filles d’Eve au rang de créatures libidineuses et dangereuses, dévorées par leur sexe, lieu de toutes les turpitudes, théâtre de multiples variations scatologiques et de transmutations que les artistes se sont employés à mettre au jour. Que l’on parle de “faille”, de “brèche” ou de “fente”, relève Chrystel Besse, les mots ne trompent pas. Est-il besoin de rappeler que la perception du sexe féminin comme éminemment dangereux se traduit par un mythe universel, celui du vagin denté, fantasme récurrent dans l’iconographie, qu’il s’apparente aux gueules d’enfer des manuscrits médiévaux, à l’imaginaire de la pieuvre ou aux métamorphoses de Méduse ? Ne le voit-on pas resurgir jusque dans l’imagerie médicale des atlas anatomiques où les outils de l’obstétricien paraissent agencés pour mieux dompter la bête ?
Tributaires de ce lourd héritage et des modes de perception qu’il induit, ni les œuvres relevant du libertinage ou de la gaudriole, ni celles d’un Courbet ou d’un Manet —pourtant décisives pour ce qui est de la figuration de la réalité du corps féminin—, ni les innovations des expressionnistes et des surréalistes n’ont donné une image plus glorieuse de la sexualité de la femme. Tour à tour désirable, féconde, déchue ou perverse selon les différents rôles qu’on lui fait endosser, celle-ci est toujours représentée en fonction du regard que le spectateur mâle lui accorde, quoi qu’il puisse en dire. La véritable rupture se situe au tournant des années 1970, avec l’implication plus affirmée des femmes dans le champ artistique et leur engagement dans un mouvement de réappropriation de leur intimité et de leur désir. C’est à cette époque que des femmes ont commencé à lutter contre les représentations avilissantes de leur sexe et il est donc pertinent d’insister, comme le fait Elvan Zabunyan à partir d’exemples significatifs (Valie Export, Hannah Wilke, Carolee Schneemann…), sur les liens fondamentaux qui unissent la quête d’une identité sexuelle et celle d’une identité artistique. Il reste, comme le constate avec lucidité Françoise Gaillard, que la surexposition de leur sexe à laquelle se livrent, sous couvert d’une telle réappropriation, certains écrivains ou artistes femmes, paraît souvent entériner cette surérotisation dans laquelle l’homme a enfermé la femme pour mieux se l’approprier.